Ciné Concert Chanté The Tiger’s Coat (Roy Clements, 1920)
La célèbre italienne Tina Modotti (1896-1942) tient le rôle principal de ce film. Femme au parcours étonnant, elle fut ouvrière en Italie, actrice aux Etats-Unis, photographe au Mexique et révolutionnaire en Europe. Diego Rivera, Frida Kahlo, Edward Weston, Pablo Neruda font partie des célèbres contemporains qu’elle fréquenta.
Le duo musical Catherine Vincent retravaille une forme de ciné-concert originale, en chantant les dialogues des acteurs. L’accompagnement est basé sur les chansons de l’album que le duo lui a dédié (en français, espagnol, italien et anglais), chant, guitare électrique, harmonium indien et percussions.Le résultat est particulièrement savoureux, drôle et émouvant.
Synopsis /THE TIGER’S COAT de ROY CLEMENTS/ 1920, 60minutes
Tina Modotti interprète une jeune mexicaine qui va usurper la place de sa maîtresse anglaise décédée, non par malhonnêteté mais par esprit de survie. L’ami américain qui l’accueille va tomber amoureux d’elle, la demander en mariage puis se rétracter en apprenant ses véritables origines. C’est dans la dénonciation du racisme que le film reste aujourd’hui moderne.
C’est après la lecture du poème Plenipontetiary écrit par Tina Modotti en 1923 et l’idée de le mettre en musique qu’est né le désir de dédier tout un album, Tina (2009), à cette femme au destin extraordinaire. Nous nous intéressions à elle depuis que nous avions lu ses lettres à Edward Weston. Cette femme artiste, indépendante et très engagée politiquement nous inspirait énormément. Plus tard nous avons découvert le film The tiger’s coat. Nous étions très intrigués et ébahis de voir notre héroïne ainsi s’y mouvoir. En effet Tina Modotti est décédée en 1942 et s’il demeure beaucoup de portraits d’elle, c’était la première fois que nous la voyions filmée. Dans ce film elle surgit dans la nuit orageuse vers la cinquième minute. Lorsqu’elle fait son entrée dans la maison du héros un panneau annonce : The mysterious visitor… Miss Tina Modotti. Nous étions très impressionnés. Quand nous avons regardé le film nous avions déjà fini notre album, après des années de lectures, de voyages, de rencontres avec des Modottiens. En 2013, suite à l’invitation de la Cinémathèque de Tanger qui organisait un cycle Musique et Cinéma, nous avons proposé un ciné-concert autour du film The tiger’s coat. Passionnés de cinéma, l’expérience de créer la bande sonore d’un film et de la jouer en direct nous attirait beaucoup. La présence des cartons dans le film qui permettent de suivre l’intrigue nous ont donné l’idée de les chanter à la manière des comédies musicales de Jacques Demy. Nous avons travaillé par thèmes et avons souhaité utiliser les mélodies de notre album Tina quand c’était possible. Le décalage de notre musique pop rend ce film de 1920 plus moderne. En chantant les dialogues, on accentue le caractère des personnages rendant ainsi le film plus accessible.
Tina Modotti était arrivée toute seule à San Francisco pour rejoindre son père et sa soeur en 1913. Elle avait à peine 16 ans. Très vite elle devint actrice dans des pièces de théâtre réalisées dans la communauté italienne et connut un certain succès. La rencontre avec son premier compagnon Roubaix de L’Abrie Richey, dit Robo, peintre et poète, confirment son attirance pour l’art. Ensemble ils s’installent à Los Angeles. Il était naturel qu’elle s’essaye à Hollywood. Après de petites apparitions, The tiger’s coat (1920) de Roy Clements est le premier film dans lequel elle tient le rôle principal. Tina Modotti y incarne une paysanne mexicaine, Maria de la Guarda, qui par esprit de survie se fait passer pour Jean Ogilvie, une écossaise dont elle est la servante. Elle est accueillie en Californie par Alexandre Mac Allister, un riche américain qui tombe amoureux d’elle. Il veut l’épouser avant de la rejeter avec des mots très durs quand il découvre ses véritables origines. Elle-même méprise ses origines indiennes, « son manteau du tigre » qu’elle veut cacher à tout prix et dont elle veut se défaire. Mais finalement Mac Allister se rétracte ayant réalisé que son amour était plus fort que « l’origine de la race ».
Les biographes de Tina Modotti se sont peu intéressés à ce film qui est le seul qui demeure de sa courte filmographie. Il reçut un mauvais accueil de la critique à sa sortie comme le remarque Patricia Albers dans son ouvrage « Shadows, Fire, Snow : The Life of Tina Modotti ». Elle note aussi que ce qui sauve le film est son message. A savoir que l’amour se place au dessus des préjugés racistes ou liés à l’origine sociale. Et c’est sans doute là que demeure la modernité du film.
Au delà de l’histoire d’amour entre une mexicaine pauvre et un riche étasunien le film raconte le parcours d’une paysanne qui devient artiste et le parallèle avec la vie de Modotti est assez troublant. En effet le personnage pose pour un peintre puis gagne son indépendance en devenant danseuse. Tina Modotti qui va également poser pour de nombreux photographes deviendra artiste elle aussi. Insatisfaite par son expérience d’actrice c’est à la mort de Robo que Tina décide de devenir photographe. Dans ses lettres à Edward Weston elle le remercie souvent de l’avoir initié à ce métier. En janvier 1928 elle écrit à propos de la photographie « non seulement il me permet de gagner ma vie, mais j’en suis venue à l’aimer avec une authentique passion et il offre de telles possibilités d’expression ».
The tiger’s coat correspond à une période qui connaît une forte émancipation des femmes aux Etats-Unis où comme en Europe du fait de la guerre elles ont plus participé à la vie active. Le parcours de l’héroïne correspond aussi au modèle vanté par le capitalisme américain qui admire la réussite grâce à l’effort. Aujourd’hui on parlerait d’une transfuge de classe, ce qu’était aussi Tina Modotti, qui a quitté l’école à 13 ans pour travailler dans une filature. Elle interprète une Mexicaine alors qu’elle n’est pas encore allée dans ce pays qui va radicalement changer sa vie. C’est en effet au Mexique, où elle va vivre de1923 à 1930 qu’elle va s’affirmer comme photographe, comme femme indépendante et comme militante politique en adhérant au parti communiste.
En regardant The tiger’s coat on devrait avoir du mal à croire comment en 1920 il est possible qu’une femme mexicaine issue d’un milieu rural réussisse à se faire passer pour une Ecossaise car cela implique non seulement d’imiter ses manières mais surtout de parler l’anglais sans accent. Dans le livre d’Elisabeth Dejeans, dont le film est tiré et qui est co-scénariste, tout cela est bien expliqué. Maria de la Guarda arrive à se faire passer pour Jean Ogilvie car elle a été élevée en Europe dans des écoles bourgeoises et acquis une grande connaissance de la culture européenne ; mais dans le film, rien de tout cela. On a l’impression que les scénaristes se sont dit : c’est un film muet cela suffit à rendre plausible la supercherie. Et ça marche !
Le Monde
http://www.lemonde.fr/musiques/article/2014/12/02/hommage-a-tina-modotti-dans-un-cine-concert-decale_4533057_1654986.html